Copyright 2009.
Reproduction interdite.

Texte de Marie-Cécile Ruault pour le FDAC 2009

Univers de l’artiste 
Certains écrivent dans leur journal les petits détails de leur journée, Kristof Guez les fixe sur la pellicule depuis l’adolescence. Il s’oriente donc tout naturellement vers la photographie professionnelle à l’âge adulte. Photographe de studio, puis photographe de presse, mais surtout photographe voyageur en quête de création, Kristof Guez a glissé peu à peu du monde du reportage à celui de l'art. Collectionneur d’instants de vie, il poursuit des projets très personnels entre ville et campagne. Dans la série Vies en Chantier (1998), l’artiste interroge des lieux désertés, signes de l’exclusion, qui se donnent à son objectif dans leur état brut, fragile et éphémère. Il en rapporte des portraits en creux de notre époque, dans ce qu’elle abandonne et ce qu’elle rejette, avec ses commerces, bureaux et chantiers dénués de présence humaine. Dans un dernier sursaut esthétique, ces immeubles nous offrent leurs silhouettes rouillées, taguées, murées, fantomatiques et émouvantes, mondes en ruines mais qui n’ont pas dit leur dernier mot. Pour Kristof Guez, l’actualité n’est qu’un prétexte à une recherche au plus près de la vérité sur les coulisses de l’événement, ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ne dit et ne publie pas. Avec Izmit épicentre (2000), il capte la beauté survivante d’un pays ravagé par un tremblement de terre, l’humanité des êtres,  la vie qui habite encore les paysages meurtris. Il photographie vite, pour ne pas perdre la magie de l’instantané, la timidité qui cache la souffrance, la part d’enfance à jamais perdue. Ce travail marque les débuts d’une collaboration régulière avec le phonographiste Marc Pichelin dans le but de mêler l’écoute et le regard qu’ils portent tous deux sur leur environnement. Ensemble, ils ont notamment réalisé Une saison de rugby (2007), oeuvre multimédia qui allie projection photographique sur grand écran et spatialisation des montages sonores. Les artistes ont dressé un portrait sensible de la vie d’un modeste club de rugby qui tente de survivre à l'heure d'une professionnalisation rapide des pratiques sportives avec comme seules armes la solidarité et la convivialité. Quelque chose de décalé transcende les joueurs immobiles. Derrière l’image prise sur le terrain ou sur leur lieu de travail, c’est l’agitation, la folie humaine, et au-delà, toute l’identité d’un village qui est révélée. Toujours fasciné par le conflit entre aires rurales et urbaines, Kristof Guez imprime dans ses paysages les traces du passage de l’homme, scrutant la manière dont il les modifie durablement. Les ambiances nocturnes de Full Moon (2008) transforment nature et architecture qui deviennent une substance graphique malléable à souhait. Dans ses nuits sans sommeil, il dématérialise le solide et rend sa part de fragilité à toute chose. Du Morvan à la baie d'Ha Long, l’objectif du photographe rend sa part d'intimité à une galerie d'êtres et de choses soumis aux pressions, en les libérant de tout contexte journalistique. Dans la lignée d’Ernest Pignon Ernest ou encore de Paul Pouvreau, ses images révèlent toutes les subtilités et les richesses des hommes et des lieux qu’il choisit de sublimer.

Autour de l’œuvre (Espace de liberté, série Full moon)
Entre 2000 et 2008, Kristof Guez sort régulièrement les nuits de pleine lune à la recherche de ses motifs de prédilection. En contre-jour, ou plutôt en « contre-nuit », les arbres et les bâtiments se découpent en théâtre d’ombres, parcelles d’un monde rêvé, saisi dans des moments de grâce impromptus. La série Full Moon présente des paysages froids aux teintes bleues associées à une forte luminosité, évoquant des architectures ou encore des paysages d’hiver. Espace de liberté, du nom du parc pris ici en photographie, représente une peupleraie désaxée, animée de mouvements secrets, où l'humain brille par son absence, comme un reflet de solitude. La nuit, tout est changement de couleur, changement de nature. La cime des arbres se laisse envelopper de sombre tandis que la lumière de la lune mêlée à l’éclairage public éclaire fortement les troncs et le sol. Mais tout cela n’est qu’illusion : l’artiste travaille à l’aveugle et privilégie des temps de pose longs qui conviennent à son processus créatif plutôt méditatif. Ce procédé aboutit à des paysages énigmatiques et fictionnels complètement déshumanisé. Le point de vue est ici renversé. Le paysage est ambiance, invention du regard, qui, partant de ce qui est, passe dans la dimension de l’au-delà du réel et fait perdre au spectateur ses repères et certitudes.

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

Texte d'Alexis Pernet pour la revue "Les carnets du paysage" Septembre 2009
Alexis Pernet est marcheur, dessinateur et paysagiste.
Entre nous (La ligne à grande vitesse est-européenne)

Entre 2005 et 2007, Kristof Guez a photographié le chantier de la Ligne à grande vitesse Est-européenne dans sa traversée du Parc naturel régional de Lorraine (départements de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle). L’infrastructure relie depuis juin 2007 Paris à Nancy et Metz, et sera prolongée dans quelques années jusqu’à Strasbourg.

La première rencontre du photographe avec la LGV est fortuite. Lors d’un repérage en Lorraines deux années auparavant, les premiers signes d’un chantier de grande ampleur sont présents dans le paysage, mais aucun ouvrage n’a encore émergé du sol. Tout ce qui en constitue la structure ordinaire (haies, talus, routes, chemins, constructions…) est en voie d’être anéanti, avant que les premiers terrassements n’inscrivent plus lourdement la vocation nouvelle de ce vaste couloir. La ligne coupe en deux le territoire du Parc de Lorraine sur un axe est-ouest, tranchant dans les grandes structures du relief, vallées et « cuestas ». Le Parc, après avoir appuyé une réflexion sur l’insertion de l’infrastructure à travers son territoire, initie une mission photographique afin de conserver une archive des transformations des paysages riverains de la ligne : non pas sur le mode d’un « observatoire photographique » (selon l’approche consistant à établir des séries d’images à partir d’un même point de vue) mais plutôt selon celui d’un « observatoire culturel », où interviennent, outre la photographie, le dessin, l’écriture, des formes théâtrales, des marches collectives et les propres archives des habitants-riverains.

Les photographies présentées ici sont réalisées durant une période qui correspond à la finalisation de l’ouvrage. Il apparaît dans un état non pas transitoire (celui du chantier) mais comme un objet entièrement neuf, dont les engins viennent à peine de se retirer, dans l’attente des derniers équipements, caténaires, postes de transformations, ballast et rails. Les grands chantiers de plantation ne tardent pas à suivre. Les parcelles agricoles remodelées par des excédents de remblais sont restituées à leurs propriétaires. Le photographe enregistre et documente cet état zéro d’un paysage entièrement neuf, amené à son tour à se transformer selon des rythmes naturels ou les charges courantes d’entretien. Il déplace librement sa chambre photographique le long d’une emprise qui sera par la suite clôturée et rendue inaccessible. Ses images n’ont ni la vocation de dénoncer une nouvelle « blessure », ni à vanter les qualités d’« intégration » de l’ouvrage. Simplement, quelque chose va se refermer en s’inscrivant dans les rythmes continus du paysage.

Un jour, une voiture est abandonnée dans un « angle mort » laissé entre une route et un talus. Les trains circulent, la vie reprend son cours.

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••